Proto : histoire d’une base idéale

Suivez le guide !

Autopop 1972Les noms de Renault et Gordini sont associés dans l’imaginaire collectif des amateurs d’autos sportives françaises des années 60 et 70. Il pourrait fort bien qu’il en soit de même avec les mots de dauphine et proto, toutefois avec un public forcément plus restreint.

Pendant plus d’une décennie de nombreuses Dauphine proto furent construites, essentiellement pour la course. Toutes témoignent à des degrés divers de la volonté d’élaborer une auto originale, compétitive et fiable sur la base de la Dauphine tout en restant le plus souvent fidèle aux mécaniques sportives Renault, même si déjà en ce temps-là, le nom prestigieux de Gordini avait perdu une partie de son éclat.

On se souvient de la revue Echappement et de sa chronique intitulée « Constructeurs Sans Patente » qui publiait fréquemment à l’époque des exemples de Dauphine proto, présentant par la même occasion les concepteurs de ces voitures sortant de l’ordinaire.

Nous reviendrons également plus loin sur la série d’articles techniques signés G. Quéron dans le même magazine.

Il faut indiquer également que l’engouement pour les Dauphine proto fut tel au début des années 70 que le magazine Autopop lança un projet de Coupe Dauphine proto dans son n°7 de janvier 1972. Dès le mois de mars (n°9) près de 120 inscriptions avaient été reçues et une sélections des 50 meilleurs pilotes devait être faite sur le circuit de Mas du Clos cette même année. Hélas ce projet n’aboutit pas et il est probable que ni Renault ni Alpine ne virent d’un bon œil cette ambition présentant des autos pouvant égaler ou dépasser en performances leur propre production. De plus l’équipe de la revue ne disposait certainement pas à l’époque de la logistique nécessaire au montage d’une telle entreprise.

D’autres magazines de diffusion moins importante ont également publié de larges articles sur des préparations ou des constructions de Dauphine proto et en en faisant parfois leur une comme par exemple Scratch, Proto-Racing ou Auto Course.

On pourra aussi se rappeler (ou découvrir) l’atmosphère de l’époque en lisant le roman de Guillaume de Saint Pierre « Pilotes de course » préfacé par Jean-Luc Thérier aux Editions France Empire (1975). C’est de ce livre que fut adapté le célèbre feuilleton du même titre diffusé par Antenne2 la même année et qui résume ce que l’on pourrait appeler ardeur, bricolage et astuces pour courir en Dauphine proto.

Historiquement et chronologiquement les deux préparateurs-constructeurs les plus connus sont Christian Martinez et Georges Quéron.

Le premier, Christian Martinez, installé dans les Bouches du Rhône, construisit sa première Dauphine proto en 1966. D’abord dotée d’un 1108 Major elle fut équipée par la suite d’une mécanique 1300 G, avait le radiateur dans le compartiment avant et fut homologuée en 7 ch la même année.

Sa deuxième auto, élaborée en 1967, a probablement été la première Dauphine proto à moteur 1500 (1470 cc type R16). Accouplé à une boîte 4 montagne , elle aussi fut dotée d’une carte grise 7 ch. Notons également que ces deux autos possédaient un train avant spécifique muni des célèbres triangles supérieurs dits triangles Martinez évitant la découpe des passages de roue.

Enfin, la troisième Dauphine proto fut sans doute la première en 1968 à disposer du moteur 1600 de la R16 TS ( 1565 cc puis 1596 cc ). Qualifiée par C. Martinez lui-même de voiture laboratoire, cette auto servit à de nombreux essais et transformations techniques : capots, ailes, portières en polyester abaissant le poids à 590 kg, préparations moteur portant la puissance entre 130 et 160 ch selon les mécaniques utilisées.

C. Martinez préparait lui-même ses moteurs, il conçut la même année un moteur 1750 cc 16 soupapes double arbre sur la base du bloc R16 qui développait 170 ch au banc. Des responsables techniques de chez Alpine vinrent même observer sur place le résultat de ce superbe travail, emportèrent les plans mais rien ne s’ensuivit. On peut se prendre à rêver si ce moteur avait un jour équipé sa dernière Dauphine proto. Malheureusement ce ne fut pas le cas et il semble que le moteur fut remisé dans un coin de son atelier de Saint-Menez .

Contacté bien des années plus tard pour le recensement, Christian Martinez confirma que ses trois voitures roulèrent avec la même carte grise délivrée initialement pour sa première Dauphine proto de 1966.

Le second, Georges Quéron, installé à Saint Etienne puis ensuite à Saint-Genest-Lerpt bénéficia d’un peu plus d’audience parce qu’il livra ses conseils de préparation en novembre et décembre 1972 dans les numéros 15 et 16 de la revue Auto Pop. Ces deux articles furent repris et considérablement agrémentés deux ans plus tard dans la revue Echappement pour former une série de 7 articles intitulés « Comment construire une Dauphine proto » parus respectivement de septembre 1974 à mars 1975 dans les numéros 71 à 77 de ce même magazine.

Signalons que par la suite Georges Quéron s’illustrera en préparant des Jidé version compétition (proto Jidé-Quéron) de 1978 à 1981 puis concevra sa plus belle réalisation, l’Anima, sous deux versions (420 i puis 420 évolution II ) de 1981 à 1998 et enfin la 420 TLE en 1999 qui courra jusqu’à fin 2004.

Pour l’histoire qui nous concerne, l’épopée des Dauphine proto de G. Quéron débute en 1966. Sa première réalisation fut une 1093 munie du moteur 904 cc préparé par ses soins. Il était accouplé à une boîte 5 à crabots et disposait d’un radiateur avant. L’auto participa à diverses épreuves en 1966 et 1967 dans les départements de la Loire et limitrophes. Elle fut améliorée au fil du temps. G. Quéron confiait qu’à l’époque, il lui arrivait avec cette 1093 proto de dominer en course les R8 G 1300.

La deuxième voiture fut construite fin 1968 début 1969 et effectua la totalité de la saison et une bonne partie de celle de 1970. Elaborée sur la base d’une 1090, elle disposait d’un moteur 1296 (pièces Ferry) monté et préparé par G. Quéron lui-même. Dotée d’une boîte 5, de trains roulants de R8 G, d’un radiateur avant et d’extracteurs d’air sur le capot, cette Dauphine proto restait malgré cela assez proche de l’origine pour son aspect extérieur même si les modifications et les astuces de montage étaient nombreuses.

Le moteur de cette auto ne donna jamais entière satisfaction à G. Quéron même si elle se classa honorablement à de multiples reprises décrochant même une victoire de classe et une 6ème place au scratch à la course de côte de Cacharat en 1970. La voiture fut vendue en 1971 à un autre pilote talentueux, Lucien Vacheron qui continua à l’engager en course par la suite.

La troisième Dauphine proto de Georges Quéron fut réalisée en 1971, elle fut chronologiquement sa deuxième voiture personnelle même s’il construisit entre temps et par la suite d’autres autos pour des clients. Elle possédait un 1448 monté et préparé par lui-même sur la base d’un 1300 G muni de pièces spécifiques Ferry. Ce moteur délivrait 147 chevaux à 8200 tours. Cette Dauphine proto possédait une boîte 5 sans autobloquant, des trains roulants améliorés de R8 G, d’un radiateur avant de R16 avec prise d’air aérodynamique, d’éléments de carrosserie en polyester (fabrication Quéron), de vitres plexiglas, d’un réservoir avant, d’une direction directe, de jantes GT (6 p. avant, 7 p. arrière) et accusait 550 kg sur la balance.

Même si cette Dauphine proto ne fut pas la plus célèbre, après ses succès en course elle fut exposée au salon de la voiture de course de Saint Etienne sur le stand Alpine puis au salon de Versailles à Paris la même année. De plus, elle fit l’objet d’un essai dans la revue Auto Pop n° 3 d’août-septembre 1971. Pour être complet il faut signaler que cette Dauphine fut également pilotée en course par M. Pignard et que 4 autres exemplaires relativement similaires furent construits par Georges Quéron pour des clients.

La Dauphine proto la plus connue de Georges Quéron est « la blanche à bandes rouges ». Il est difficile de savoir quelle est sa place exacte dans l’ordre chronologique des voitures construites car ce dernier préparait en même temps plusieurs autos destinées à être engagées en compétition par des clients ou des amis.

Une chose est sûre, elle fut élaborée en 1974 sur la base d’une 1093. Homologuée en 9 cv, dotée d’un moteur 1596 cc issu d’une R12 G avec des pièces Ferry, la mécanique fut montée et préparée par G. Quéron et développait 167 ch. Accouplé à une boîte 5 avec un couple 9 X 34 et des rapports supérieurs rapprochés, l’auto disposait d’un train avant de R8 G amélioré monté rigide sur des bagues bronze munies de graisseurs. Le freinage était assuré par un maître-cylindre tandem commandant des disques et étriers de R16 à l’avant et des disques et étriers de R8 G à l’arrière mais équipés de pistons de diamètre 40 mm. Le train arrière de son côté, issu d’une R8 G était largement modifié au niveau de la traverse arrière avec renforts spécifiques, barres de poussée montées sur rotules Unibal et silent-blocs durs. Il est fort probable que toutes ces améliorations étaient destinées à recevoir ultérieurement un train arrière nettement plus sophistiqué. Les voies avant et arrière de cette Dauphine proto mesuraient 1,40 m.

Il est impossible de citer par le détail la liste impressionnante de toutes les transformations et amélioration de cette Dauphine proto. On se reportera pour cela à l’essai de la voiture par Gilles Dupré et Pierre Pagani dans le numéro 63 de janvier 1974 (page 46) de la revue Echappement.

En termes de palmarès cette auto participa à de nombreuses épreuves dont la Ronde Cévenole en 1975 avec comme pilote le remarquable Lucien Vacheron qui parvint à classer la voiture à la 10ème place au scratch parmi plus de 300 autres concurrents. Par la suite, la même année, cette Dauphine proto participa à un rallye

au Maroc. Sa carrière sportive s’est arrêtée en 1983 avec l’extinction du groupe 5.

Cette auto existe toujours aujourd’hui sous une robe différente et fait la fierté de son dernier propriétaire. Elle coule des jours paisible dans l’arrière pays niçois sous la douceur du climat méditerranéen.

Il semble important d’indiquer que si les Dauphine proto construites par Georges Quéron furent homologuées en 7 ou 9 ch, toutes conservèrent leur marque d’origine Renault. Seul le type portait la mention « modifié » ou « original » suivie du changement de puissance fiscale. On estime à approximativement une quinzaine le nombre total de voitures construites à Saint Etienne. Il n’ a jamais existé de Dauphine proto munie de carte grise portant le nom de Dauphine Quéron même si certains l’affirment aujourd’hui.

A notre connaissance seule l’exceptionnelle Dauphine De Verez peut se targuer d’avoir vu sa marque disparaître officiellement de sa carte grise au bénéfice du nom de son concepteur et d’une plaque d’identification spécifique comportant numéro de série et date de réception aux Mines ( voir Berlinette Mag n° 38, avril-mai 2010).

A propos de cette dernière plaque il semble utile de préciser que toutes les Dauphine proto n’en possédaient pas car cela était laissé au bon vouloir de l’inspecteur chargé de l’homologation. Le seul document officiel restait, et cela est toujours le cas aujourd’hui, la carte grise type modifié ou original ainsi que les plaques correspondantes apposées dans la compartiment avant, la plaque losange comportant le numéro de caisse et la plaque ovale avec celui du numéro de série, parfois appelée numéro de fabrication.

Bien peu ont conservé jusqu’à aujourd’hui leur procès verbal de réception à titre isolé, simple document papier barré d’un trait oblique et dûment tamponné mentionnant leur caractéristiques techniques. Cela est regrettable car bien que non exigible il fait partie de l’historique de la voiture et peut apporter un plus significatif concernant son authenticité.

En guise de conclusion, tout comme Christian Martinez, Georges Quéron fut lui aussi un grand Monsieur de la mécanique, au point qu’on le surnommait le Sorcier de Saint Etienne. Avec les Dauphine proto il s’était fait un nom qu’il continuera par la suite de faire briller. C’est de son atelier que sont sorties les Dauphine proto les plus célèbres et les plus élaborées. La plus connue d’entre elles, 6434 QU 42, évoquée plus haut, est entrée dans la légende grâce à une courte prise de vue lors de la Ronde Cévenole 1975 pour la série télévisée Pilote de Course citée en début de chapitre. L’auto fit en outre l’objet d’un article élogieux dans la revue Échappement (voir ci-dessus).